Décision historique sur le vol de temps et les politiques de surveillance électronique sur le lieu de travail

La récente décision du Civil Resolution Tribunal de la Colombie-Britannique dans l’affaire Besse c. Reach CPA Inc. 2023 BCCRT 27, constitue une véritable mise en garde pour les employés. L’affaire portait sur des allégations de congédiement abusif, la demanderesse, Karlee Besse, réclamant 5 000 $ en salaires et en indemnités de départ impayés. Toutefois, dans une tournure inattendue des événements, le Tribunal a conclu que Mme Besse avait commis un « vol de temps », ce qui a été prouvé par l’employeur grâce à un logiciel de suivi du temps installé sur son ordinateur de travail.

La décision

En septembre 2021, Reach CPA (« Reach ») a embauché Karlee Besse comme comptable, avec l’accord qu’elle pouvait travailler à distance. Cependant, en mars 2022, Reach a installé un programme de suivi du temps, TimeCamp, sur l’ordinateur portable de Mme Besse afin de régler les problèmes de gestion du temps. Mme Besse a pris du retard et dépassé le budget sur des dossiers, et une réunion a été organisée pour créer un plan d’amélioration du rendement. Reach s’est inquiété d’une entrée de feuille de temps que Mme Besse avait faite pour un dossier sur lequel elle n’avait pas travaillé et a trouvé des écarts d’environ 50 heures dans ses données TimeCamp. Reach a rencontré Mme Besse pour discuter de ces écarts, mais elle a refusé de les expliquer. Par la suite, Reach a mis fin à son emploi pour un motif valable.

Mme Besse a alors déposé une plainte pour congédiement abusif, réclamant 5 000 $ de salaire et d’indemnité de départ non payés. À son tour, Reach a déposé une demande reconventionnelle réclamant 1 506,34 $ en salaires versés qui, selon elle, constituaient un vol de temps, ainsi que 1 096,73 $ dus en vertu de l’entente initiale.

Le Tribunal a conclu que Mme Besse n’était pas tenue de faire la distinction entre ses activités personnelles et professionnelles après s’être connectée au programme TimeCamp, puisque celui-ci enregistrait automatiquement ses activités. Le Tribunal a finalement déterminé que Mme Besse avait enregistré de façon inexacte le temps consacré à des dossiers sur lesquels elle ne travaillait pas, et que le calcul par Reach de 50,76 heures volées était correct. Bien que Mme Besse ait soutenu qu’elle avait travaillé sur des copies papier de documents de clients que TimeCamp n’avait pas saisies, Reach a présenté des preuves pour contester son affirmation. En définitive, le Tribunal a conclu que Mme Besse avait commis un vol de temps, ce qui justifiait son congédiement motivé.

Le Tribunal a rejeté la réclamation de Mme Besse pour indemnité de préavis et salaires impayés et lui a ordonné de rembourser à Reach le montant impayé en vertu de l’entente initiale, de payer des dommages-intérêts pour vol de temps, plus les intérêts et les frais du Tribunal.

Surveillance électronique sur le lieu de travail

Au Canada, la surveillance électronique en milieu de travail est principalement régie par les lois provinciales sur la protection de la vie privée et les principes de common law. En Ontario, la principale loi qui régit la surveillance électronique dans le contexte de l’emploi est la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). La LPRPDE est une loi fédérale qui établit des règles sur la façon dont les organisations du secteur privé recueillent, utilisent et communiquent des renseignements personnels dans le cadre de leurs activités commerciales.

Par ailleurs, les employeurs devraient également envisager d’élaborer des politiques claires sur le lieu de travail qui décrivent leurs pratiques de surveillance électronique. Ces politiques doivent permettre aux employés de bien comprendre ce qui est surveillé, pourquoi il l’est et comment l’information sera utilisée.

La Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE) a été modifiée le 11 avril 2022 pour obliger les employeurs comptant 25 employés ou plus à mettre en place une politique écrite sur la surveillance électronique. Au cours de la première année de cette exigence, les employeurs qui atteignent le seuil d’employés le 1er janvier 2022 avaient jusqu’au 11 octobre 2022 pour se conformer. À partir de 2023, et chaque année par la suite, ces employeurs devront avoir mis en place une politique écrite sur la surveillance électronique avant le 1er mars de l’année en question.

Les employeurs ontariens sont toujours tenus d’avoir une politique de surveillance électronique sur le lieu de travail, même s’ils choisissent de ne pas surveiller leurs employés. Il est important que la politique précise que l’entreprise ne surveille pas ses employés par voie électronique. Si l’entreprise décide d’utiliser la surveillance électronique à l’avenir, la politique doit être mise à jour, et tous les employés doivent recevoir un préavis raisonnable de cette nouvelle politique.

Si la surveillance électronique est généralement autorisée sur le lieu de travail, il convient de noter que les employeurs doivent trouver un équilibre entre leur droit de surveillance et le droit à la vie privée des employés. L’utilisation de la surveillance électronique doit être raisonnable et nécessaire pour atteindre un objectif commercial légitime, et les employeurs doivent être transparents quant à leurs pratiques de surveillance et obtenir le consentement des employés, le cas échéant.

La jurisprudence ontarienne sur le vol de temps ?

Bien qu’il n’y ait actuellement aucune affaire ontarienne qui analyse directement le concept de vol de temps en ce qui concerne la rémunération des employés, plusieurs décisions ont été rendues dans lesquelles la question de la comptabilisation exacte du temps a été abordée :

Canada (Agence des services frontaliers) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 67 - Cette affaire portait sur un employé qui était accusé de vol de temps pour avoir falsifié des registres de temps et de présence. La Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que l’employé s’était livré à un vol de temps, justifiant la décision de l’employeur de le congédier pour un motif valable.

  1. c. AML Communications Inc, 2010 ONCJ 5 - Cette affaire pénale concerne un individu qui a été accusé de fraude et de vol de plus de 5 000 $ pour avoir présenté de fausses feuilles de temps à son employeur. La Cour de justice de l’Ontario a déclaré l’accusé coupable de fraude et de vol.
  2. S. c. B.D., 2020 ONSC 7351 - Cette affaire concerne un plaignant qui a été accusé de vol de temps par son employeur. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que l’employeur n’avait pas suffisamment de preuves à l’appui des allégations de vol de temps et a rejeté la demande reconventionnelle de l’employeur.

L’utilisation croissante des logiciels de suivi du temps en milieu de travail, en raison des environnements de travail à distance et hybrides, fait que la décision rendue dans l’affaire Besse v. Reach CPA Inc. pourrait servir de précédent pour des réclamations similaires en Ontario. Les employés doivent faire attention aux logiciels de suivi du temps et les employeurs doivent être prudents lorsqu’ils mettent en œuvre des politiques de surveillance électronique en milieu de travail. Les employeurs devraient chercher des conseils juridiques lorsqu’ils établissent des politiques de surveillance électronique en milieu de travail afin de s’assurer qu’ils respectent toutes les lois et tous les règlements en vigueur.

Yasmine Atif

Yasmine Atif

Avocat(e)

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